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Source is the podcast channel of the Canadian Teachers’ Federation (CTF/FCE). It explores the big picture of what’s happening in Canada’s public education system, presents the latest trends, uncovers real stories from educators, leading experts, and activists, and provides possible solutions to strengthen Canada’s public education system.
Source est la chaîne balado officielle de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (CTF/FCE). Elle met en lumière les grandes choses qui se passent dans le système d’éducation publique au Canada, signale les dernières tendances, relate des histoires vraies d’enseignantes et enseignants, d’activistes et de sommités du domaine, et propose des solutions pour renforcer notre système d’éducation publique.
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ABSENCES : La pénurie de personnel enseignant dans les écoles francophones et dans les programmes de français langue seconde
Cet épisode traite de la pénurie de personnel enseignant dans les écoles de langue française en contexte minoritaire et dans les programmes de français langue seconde au Canada.
Sujets traités :
- L’histoire de la francophonie canadienne
- La différence entre la crise nationale de la rétention du personnel enseignant, d’une part, et la pénurie dans les écoles de langue française en contexte minoritaire et dans les programmes de français langue seconde, d’autre part
- Les difficultés vécues dans les écoles de langue française par rapport à celles vécues dans les écoles de langue anglaise
- Les conditions de travail dans le monde
- L’immigration récente et l’intégration
Episode in French. For the English episode, see episode 3.
Personnes invitées
- Heidi Yetman, présidente de la CTF/FCE
- Anne Vinet-Roy, vice-présidente de la CTF/FCE (2023-2025) et ancienne présidente de l’AEFO (2019-2024)
- Marie-Noël Vercambre-Jacquot, chercheure épidémiologiste, Fondation MGEN pour la santé publique
- Mensah Hemedzo, enseignant, membre de l’AEFO et auteur
Témoignages: Mona-Élise Sévigny (ÉFM), Geneviève Forget (APEQ), Gabrielle Lemieux (AEFO), Ambroise Gomis (AEFO)
Les entrevues ont été enregistrées entre juin 2024 et janvier 2025.
Ressources
- Les écoles de langue française en milieu francophone minoritaire [PDF]
- Infographie du sondage de l’automne 2024 de Parachute — langue officielle
- La Pédagogie à l’école de langue française (PELF)
- Portraits de l’éducation
- La Déclaration de Québec sur la pénurie de personnel enseignant, la Conférence des associations francophones d’éducation
- Internationale de l’Éducation, La force du public : Ensemble on fait école!
- I-BEST 2023
- Dites-leur que je suis Québécois, Mensah Hemedzo
The Source podcast is produced by the CTF/FCE in Ottawa, on the traditional unceded territory of the Algonquin Anishinaabe People. / La balado Source est produite à Ottawa, sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anichinabé, par la CTF/FCE.
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Views expressed do not necessarily represent the policies nor the views of the CTF/FCE. / Les points de vue exprimés dans cet épisode ne représentent pas forcément les principes directeurs ou les points de vue de la CTF/FCE.
Les transcriptions sont produites au moyen du logiciel Descript. Même si nous révisons légèrement le texte, l’exactitude de la transcription faite par machine peut varier selon la qualité du son, le sujet traité et la personne qui parle.
ANIMATRICE : Bienvenue à ce nouvel Épisode d’ABSENCES, une série du balado Source de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (CTF/FCE).
Cette série d’enquêtes dévoile les causes de la crise de l’éducation publique à travers les témoignages de membres du corps enseignant.
Mon nom est Aurore Alessandra et, dans cet épisode, nous nous pencherons sur la pénurie de personnel enseignant dans les écoles de langue française et les programmes de français langue seconde. Dans un premier temps, nous examinerons ce qui distingue l’enseignement en français de l’enseignement du français au Canada, puis nous parlerons de la pénurie de personnel enseignant dans différents contextes pour tenter de mieux comprendre les raisons qui poussent les enseignantes et enseignants à quitter la profession, les défis en contexte minoritaire et les conséquences qui en découlent.
Afin de mieux cerner l’ampleur de la crise au pays, nous entendrons des enseignantes et enseignants nous parler des répercussions de la pénurie de personnel sur leur quotidien. Des spécialistes du Canada et d’ailleurs, notamment des porte-paroles de l’éducation, une chercheuse et un auteur, se prononceront également sur la question.
Venez découvrir avec nous ce qui manque aux écoles, les « absences », et trouver des pistes de solutions pour remettre le système d’éducation publique du Canada sur la bonne voie.
Dans certains cas, les témoignages que vous entendrez seront lus par des comédiennes ou comédiens afin de respecter l’anonymat des intervenantes et intervenants.
Mise en contexte — L’histoire de la francophonie au Canada
ANIMATRICE : Officiellement, le Canada est un pays bilingue. Près du quart de la population canadienne est francophone.
Plus d’un million de francophones vivent hors Québec, dans des communautés qui doivent au quotidien faire face à des défis linguistiques, identitaires et culturels.
Que ce soit en Acadie, en Ontario, dans l’Ouest ou dans les territoires, les francophones en contexte minoritaire défendent aujourd’hui encore leur droit de vivre, de travailler et d’étudier en français.
La protection des droits linguistiques des francophones au Canada repose sur de solides assises juridiques. Adoptée en 1982, laCharte canadienne des droits et libertés garantit des droits fondamentaux aux francophones en contexte minoritaire. L’article 16 établit l’égalité du français et de l’anglais comme langues officielles du Canada, et l’article 23 reconnaît le droit à l’instruction dans la langue minoritaire là où le nombre de personnes parlant cette langue le justifie.
Ces dispositions ont permis d’importantes avancées, notamment la création d’écoles et de conseils scolaires francophones d’un bout à l’autre du pays. Elles ont aussi servi de fondement à des décisions judiciaires majeures, comme celle rendue dans l’affaire Mahe en 1990, en Alberta, qui a reconnu aux francophones le droit de gérer et de contrôler leurs écoles.
La Loi sur les langues officielles, adoptée en 1969 et modernisée en 2023, est un autre instrument juridique fondamental qui garantit l’égalité du français et de l’anglais au sein des institutions fédérales et favorise le développement des communautés francophones en situation minoritaire.
ANIMATRICE : Selon Statistique Canada, en 2021, un peu plus d’un enfant de moins de 18 ans sur dix était admissible à l’instruction en français au pays en dehors du Québec.
Pour faire face à la demande, un vaste réseau comptant plus de 700 écoles de langue française est en place dans 12 des 13 provinces et territoires du Canada, où le français est la langue minoritaire. On parle d’écoles de langue française en contexte minoritaire, c’est-à-dire, qui se trouvent en dehors du Québec. C’est ce qui fait leur particularité : l’enseignement s’y fait en français, dans toutes les matières.
Les écoles de langue françaiseont un mode de fonctionnement qui leur est propre et dépendent d’un conseil scolaire distinct.
La carte qui se trouve dans les ressources complémentaires de la description de l’épisode montre qu’il y a des écoles de langue française en contexte minoritaire partout au pays, et en plus forte proportion au Nouveau-Brunswick et en Ontario (selon le recensement de 2021 de Statistique Canada).
La pénurie de personnel enseignant francophone en contexte minoritaire est donc très répandue et touche les élèves d’un bout à l’autre du pays.
ANIMATRICE : Au Canada, 43 % des élèves apprennent le français comme langue seconde. En 2022-2023, plus de 1,7 million d’élèves suivaient un programme de langue seconde, en dehors du Québec.
Il est important de noter que les écoles de langue française en contexte minoritaire diffèrent des écoles de français langue seconde, aussi connues sous l’abréviation « FLS » ou « FL2 ».
Par exemple, l’immersion française est un programme qu’on retrouve dans les écoles anglophones, soit les écoles de la majorité linguistique. On parle ici de l’enseignement du français.
HEIDI YETMAN : Je suis diplômée d’une école de langue française de Saint‑Boniface, à Winnipeg. Je suis donc un produit du système d’éducation de la minorité francophone au Canada.
ANIMATRICE : Heidi Yetman, la présidente de la CTF/FCE, nous parle de la complexité de la pénurie de personnel enseignant, de ses causes et de ses conséquences.
HEIDI : Le principal défi au Canada, c’est la pénurie d’enseignantes et d’enseignants qualifiés, surtout en milieu francophone minoritaire. Cette pénurie fragilise les services aux élèves, nuit à leurs conditions d’apprentissage et met en péril la survie de certaines écoles de langue française, surtout en régions rurales.
En fait, on assiste à deux pénuries parallèles : il y a, d’une part, la pénurie nationale de personnel enseignant (qui est plutôt une crise de la rétention et du recrutement) et, d’autre part, la pénurie qui sévit depuis bien plus longtemps dans les écoles de langue française.
Pour ce qui est de la crise de la rétention et du recrutement, la difficulté ne se limite pas à combler les postes vacants : il faut trouver un moyen de maintenir le personnel en poste et d’attirer la relève vers une profession actuellement précaire qui a grand besoin de changement systémique.
Le problème ne vient pas du fait qu’on manque de personnel enseignant qualifié au Canada — les enseignantes et enseignants sont là. C’est la dégradation rapide des conditions de travail qui est au cœur de la crise.
HEIDI : Il y a aussi une pénurie dans les contextes francophones minoritaires, notamment en milieu rural.
Selon le sondage de suivi semi-annuel de 2024 de la Fédération, 92 % des Canadiennes et Canadiens francophones estiment qu’il y a une pénurie d’enseignantes et enseignants dans leur collectivité, contre 71 % des anglophones.
ANIMATRICE : La pénurie s’étend aussi au personnel enseignant dans les programmes d’immersion française et de français langue seconde.
Nos collègues de l’Association canadienne des professionnels de l’immersion et de l’Association canadienne des professeurs de langues secondes ont mené en 2021 une consultation nationale sur la pénurie de personnel enseignant dans les programmes d’immersion française et de français langue seconde. Cette étude a révélé que 42 % des écoles d’immersion française connaissaient une pénurie de personnel enseignant, un pourcentage qui s’élevait à 51 % dans les régions rurales.
La crise de la rétention et du recrutement dans l’enseignement et la pénurie qui en résulte constituent un problème complexe qui touche l’ensemble du pays.
HEIDI : La pénurie que nous connaissons aujourd’hui découle de toutes sortes de causes interreliées.
Pour aller au fond des choses, la CTF/FCE a lancé en octobre 2024 l’enquête Parachute, une enquête pancanadienne pluriannuelle qui comporte des sondages menés auprès du personnel de l’éducation.
Près de 5 000 professionnelles et professionnels de l’éducation ont pris part au premier sondage, qui portait principalement sur les conditions de travail ayant une incidence sur la rétention et le recrutement.
Les conclusions du sondage ont permis de mettre en lumière trois grands facteurs qui ont des conséquences négatives sur la charge de travail du personnel de l’éducation francophone, soit :
1. la grande diversité des besoins des élèves;
2. le surmenage et le manque de temps de préparation;
3. le manque de soutien spécialisé.
Jugées mauvaises par les membres du personnel enseignant tant anglophones que francophones, les conditions de travail ont une incidence sur leur santé mentale; près de 30 % des personnes répondantes se sont dites « à peine » capables de gérer le stress quotidien. De plus, 70 % des anglophones et des francophones ont déclaré que leur charge de travail était aujourd’hui moins gérable qu’en 2019, ce qui signifie que la situation s’est dégradée au cours des cinq dernières années.
ANIMATRICE : L’étude menée par l’Association canadienne des professionnels de l’immersion et de l’Association canadienne des professeurs de langues secondes a permis de mettre en évidence les causes de la pénurie:
- Premièrement, l’emplacement des écoles. Compte tenu de la superficie du Canada, il est difficile d’avoir du personnel qualifié partout au pays.
- Deuxième, le contexte culturel. Les enseignantes et enseignants en immersion française peuvent se sentir isolés dans les communautés où on parle surtout anglais.
- Troisième, les nombreux défis administratifs. Les défis et les réalités des programmes d’immersion française et de français langue seconde sont méconnus, et le perfectionnement professionnel n’est souvent offert qu’en anglais.
- Quatrième, les conditions de travail et la dévalorisation de la profession. Le personnel enseignant en français langue seconde doit notamment composer avec la surcharge de travail, la difficulté à gérer les demandes croissantes ou encore le manque de ressources adaptées de qualité. Les provinces et les territoires lancent de nouveaux programmes sans avoir suffisamment de ressources pédagogiques ni de matériel d’appui en français. La situation est telle que de nombreux enseignantes et enseignants quittent la profession dans les cinq premières années.
- Cinquième, le manque de qualifications. En plus du brevet d’enseignement ou du certificat d’aptitude pédagogique, il faut avoir une solide maîtrise de la langue française et des compétences en enseignement du français langue seconde.
ANIMATRICE : Les programmes d’immersion française gagnent en popularité et ont enregistré une hausse des inscriptions de près de 40 % en 20 ans.
Si cette tendance a quelque peu ralenti après la pandémie, les inscriptions dans les écoles francophones, elles, continuent d’augmenter.
On observe par exemple en Alberta une augmentation du nombre d’inscriptions dans les écoles de langue française. Selon Radio-Canada, « les effectifs continuent de grimper dans les écoles albertaines, y compris les écoles francophones, ce qui engendre des carences en matière d’infrastructure et de personnel ».
Le Conseil scolaire Centre-Nord à Edmonton a enregistré une hausse de 7,3 % du nombre d’inscriptions par rapport à l’année dernière. À en croire le directeur général d’un conseil scolaire, la hausse des inscriptions est due à plusieurs facteurs, notamment l’immigration francophone. Les écoles de langue française sont de plus en plus prisées par les parents, et pour répondre à cette demande, il faut notamment embaucher de nouveaux membres du personnel enseignant et adapter les ressources.
Les données du dernier recensement révèlent qu’à l’heure actuelle, de nombreux élèves qui pourraient demander à être scolarisés en français n’en font pas la demande. Elles indiquent cependant qu’une augmentation du nombre d’inscriptions dans les écoles de langue française est à prévoir, ce qui pourrait aggraver la pénurie.
Pour pallier le manque de personnel enseignant, les écoles n’ont ainsi d’autre choix que celui de faire appel à des enseignantes et enseignants retraités ou à du personnel ne détenant ni diplôme en éducation ni certificat d’aptitude pédagogique.
Même au Québec, où le français est la langue majoritaire, la situation est critique. Selon un article de Radio-Canada, en décembre dernier, le ministère de l’Éducation comptait plus de 9 000 enseignants non qualifiés dans les écoles publiques du Québec, une hausse de 3,5 % par rapport à mai 2024 et de 38 % par rapport à mai 2023. Ce nombre n’inclut pas les milliers d’enseignants suppléants qui ne détiennent pas non plus de brevet d’enseignement.
HEIDI : L’augmentation considérable du nombre d’élèves se traduit par des défis importants et un manque criant de ressources. La pression s’accentue sur les écoles qui sont souvent en surcapacité et manquent d’espace.
ANIMATRICE : La pénurie d’enseignantes et enseignants francophones qualifiés fragilise la francophonie canadienne en privant les élèves du droit que leur garantit la Charte canadienne des droits et libertés d’être scolarisés en français.
Les francophones en contexte minoritaire font partie des groupes en mal d’équité. La pénurie de personnel vient donc s’ajouter à d’autres défis que les écoles doivent relever pour assurer l’épanouissement linguistique et la construction identitaire de leurs élèves.
La francophonie canadienne continue d’être aux prises avec d’importantes difficultés : l’assimilation, l’anglicisation croissante, le manque de ressources pour certaines institutions — dont les conseils scolaires — et la nécessité d’attirer davantage de francophones issus de l’immigration pour renforcer la vitalité des communautés.
En l’état actuel des choses, la pénurie d’enseignantes et enseignants menace la pérennité de l’éducation en français.
ANIMATRICE : Pour mieux comprendre la pénurie de personnel enseignant francophone en contexte minoritaire, écoutons maintenant Anne Vinet-Roy, vice-présidente de la CTF/FCE et ancienne présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens, l’AEFO.
Anne Vinet-Roy : Donc, [pour] nous, la pénurie n’a pas seulement commencé au moment de la pandémie. La pénurie continue de s'accentuer année après année…
En 2015-2016, il y avait environ 150 personnes qui enseignaient dans nos écoles sous des lettres de permission et ce nombre-là est passé à 700 en 2021-2022.
Alors, ça représente une augmentation beaucoup trop grande au niveau des effectifs pour le personnel enseignant qui n'est pas certifié. Et si on compare avec les anglophones, eux, c'est 0,5 % des effectifs qui travaillent sous des lettres de permission, contrairement aux francophones, il y a plus de 50 % des permissions intérimaires qui sont accordées à des conseils scolaires francophones pour l'embauche d'enseignants qui sont non qualifiés.
ANIMATRICE : Qu’est-ce qui a conduit à l’embauche d’un plus grand nombre d’enseignantes et enseignants non qualifiés dans les écoles de langue française de l’Ontario?
Anne Vinet-Roy : On a des données de l’Ordre des enseignants qui disent que 30 % des diplômés des programmes de formation en langue française ne renouvellent pas leur certificat de qualification après 5 ans.
ANIMATRICE : Ces données alarmantes proviennent de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario, qui délivre les autorisations d’enseigner dans la province. Elles montrent clairement que le personnel qualifié délaisse le système d’éducation publique ontarien pour aller enseigner dans des établissements privés ou dans d’autres provinces — quand il ne quitte pas tout bonnement la profession.
Anne Vinet-Roy : Alors, malgré le plus grand dévouement du personnel enseignant à un moment donné, ça use tout ça et il y a des limites à ce qu'on peut faire humainement quand on n'a pas les ressources, quand on n'est pas appuyé et quand on nous en demande de plus en plus.
ANIMATRICE : En outre, comme cela a été mentionné plus tôt, les établissements francophones de la province connaissent une hausse du nombre d’inscriptions.
Anne Vinet-Roy : La demande d'éducation de langue française, c'est une augmentation qui continue depuis la création des conseils scolaires de langue française qui date déjà d'un certain nombre d'années.
Il y a quand même au-delà de tout près de 500 postes qui ne sont pas comblés à chaque année parce qu'on n'a pas assez de personnes qui complètent la formation en enseignement. Donc, si les effectifs augmentent, mais que le pourcentage de membres ou de personnel enseignant qualifié n'augmente pas, eh bien, il y a un problème.
ANIMATRICE : Une autre cause explique la pénurie de personnel enseignant francophone en Ontario.
Anne Vinet-Roy : La pénurie du personnel qualifié n'est pas seulement due à l'augmentation de la demande du système d'éducation de langue française dont on vient de parler, ça découle vraiment des décisions qui ont été prises par le gouvernement au début des années 2010 pour répondre à un enjeu de surplus de main-d’œuvre qu'il y avait dans le système anglophone.
Le système d'éducation de langue française connaissait un certain équilibre entre l'offre et la demande à ce moment-là, quand le programme de formation à l'enseignement a été prolongé à deux ans, le système francophone souffrait déjà un peu. On avait déjà annoncé cette pénurie-là qui se tramait déjà. Il s'est retrouvé en situation de déséquilibre.
ANIMATRICE : La décision prise unilatéralement par le gouvernement de l’Ontario a créé un déséquilibre dans le système d’éducation francophone et a fait plus de mal que de bien.
Cela prouve qu’il n’y a pas de recette miracle, et qu’on ne peut pas appliquer à une minorité des solutions conçues pour la majorité. Ce qui fonctionne dans certains cas ne marchera pas systématiquement et peut avoir des effets indésirables. Le gouvernement ontarien a fait fi de ses obligations envers le système d’éducation francophone. En outre, il ne se passe pas un jour sans que les enseignantes et enseignants francophones observent les effets négatifs que la pénurie croissante de personnel a sur l’apprentissage des élèves.
ANIMATRICE : La situation au Canada n’est pas un cas isolé. Voyons un peu ce qu’il se passe à l’échelle mondiale.
Marie-Noël : Je suis Marie-Noël Vercambre-Jacquot.
ANIMATRICE : Marie-Noël Vercambre-Jacquot est une chercheuse qui a coécrit des rapports du Baromètre international de la santé et du bien-être du personnel de l’éducation. Connue sous le nom de « I-BEST », cette enquête porte sur les conditions de travail, le bien-être et la santé du personnel enseignant dans le monde entier.
Marie-Noël : Le baromètre international de la santé et du bien-être du personnel de l'éducation est une enquête internationale qui a été développée par le Réseau éducation et solidarité et la Fondation d'entreprise pour la santé publique avec l'appui de l'Internationale de l'éducation et de la chaire UNESCO éducation et santé.
ANIMATRICE : L’édition de 2023 de I-BEST a recueilli des données dans 11 territoires répartis sur quatre continents (soit le Canada, le Québec, la France, l’Espagne, le Royaume-Uni, la Suisse, la Belgique, l’Argentine, le Maroc, le Cameroun et le Japon). Voici ce qui est ressorti de cette enquête en ce qui a trait à la charge de travail :
Marie-Noël : Globalement, la charge de travail des personnels de l'éducation apparaît importante. Le volume horaire de travail hebdomadaire excède presque partout quarante heures par semaine. Il s'approche même de cinquante heures dans des pays comme le Japon, le Royaume Uni et le Canada. On est autour de quarante-huit, quarante-neuf heures hebdomadaires.
ANIMATRICE : Ces conclusions concordent avec celles de l’enquête Parachute :
- 73 % des membres du personnel de l’éducation travaillent plus de 45 heures par semaine, et 35 % dépassent les 48 heures.
- 38 % des membres du personnel de l’éducation francophones travaillent plus de 48 h par semaine, ce qui représente la plus grande proportion parmi les enseignantes et enseignants qui travaillent autant d’heures par semaine.
Il va sans dire que cette surcharge de travail a des conséquences néfastes sur l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, et donc sur le degré de satisfaction.
Marie-Noël : Pour ces personnels, il y a cumul des charges. Il y a ce volume horaire important de travail. Il y a la charge mentale et il y a cette responsabilité d'aidants pour une part non négligeable de professionnels. Ces volumes importants pèsent sans doute sur l'équilibre vie personnelle vie professionnelle.
La satisfaction vis à vis de cet équilibre est modérée. Le Canada ne fait pas exception avec cinquante-huit pour cent d'insatisfaction.
ANIMATRICE : Ce qui nous amène à parler maintenant de la santé et du bien-être :
Marie-Noël : La France, la Belgique, le Maroc, le Cameroun et au Canada, ce bien-être subjectif apparaît intermédiaire; Il n'est pas florissant.
Et en fait, on se rend compte que la santé des personnels est fragilisée de manière générale, dans la dimension psychologique, et notamment au Canada, quarante-six pour cent des personnels ressentent souvent, très souvent ou toujours des sentiments négatifs tels qu’anxiété, dépression.
ANIMATRICE :De manière générale, ces statistiques nous montrent à quel point les enseignantes et enseignants se sentent dépassés et combien cela affecte leur état de santé. Cela signifie que les membres du personnel de l’éducation cherchent de plus en plus à se réorienter vers des domaines moins stressants, où la charge de travail permet d’atteindre un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle.
En ce qui concerne la pénurie à l’échelle mondiale, les Nations Unies ont fait savoir que d’ici 2030, sept membres du personnel enseignant sur dix devront être remplacés au secondaire, et qu’on aura besoin de 44 millions d’enseignantes et enseignants de plus à travers le monde. L’Europe et l’Amérique du Nord devront trouver 4,8 millions de membres du personnel de l’éducation, ce qui les classe au troisième rang des demandes les plus fortes. Les Nations Unies estiment en outre que d’ici 2050, la pénurie de personnel enseignant sera généralisée à l’échelle mondiale, et et que le Canada figurera parmi les pays qui auront le plus de recrutement à faire en enseignement.
Devant cette pénurie mondiale croissante, l’Internationale de l’Éducation — une fédération syndicale qui représente plus de 33 millions de membres parmi le personnel de l’éducation de par le monde et dont la CTF/FCE fait fièrement partie — a lancé à l’échelle mondiale une campagne intitulée : « La force du public : Ensemble on fait école! ». Cette campagne presse les gouvernements d’investir dans l’éducation publique, qui constitue un bien public et un droit de la personne fondamental, et d’investir davantage dans la profession enseignante, garante ultime d’une éducation de qualité. Les organisations de l’enseignement du monde entier s’unissent pour assurer une éducation publique de qualité pour tous et toutes.
ANIMATRICE : Écoutons maintenant des enseignantes et enseignants de tout le pays à qui nous avons demandé de nous donner leurs impressions sur la pénurie.
Mona-Élise Sévigny:Donc, je suis mon Mona-Élise Sévigny, la présidente des éducatrices éducateur francophone du Manitoba. Pour Manitoba on voit, parce qu'on représente à la fois les écoles d'immersion et aussi les écoles franco-manitobaines et aux deux niveaux dans les deux programmes, on voit une pénurie qui ça se voit aussi parce que notre territoire est énorme.
Quand on parle d'une pénurie, c'est au nord, surtout dans les régions éloignées, mais même en ville, on voit aussi que c'est dans toutes les écoles, ça fait que, quand on parle aux enseignants en immersion, on va souvent les suppléants ne seront pas là et des suppléants plus francophones ne sont pas là.
Donc on le voit, on leur ressent. Les enseignants disent qu'ils vont souvent préparer en anglais parce qu'on ne peut pas s'attendre à ce que les suppléants qui rentrent dans la classe va être capable de le faire en français. Donc ça, c'est malheureux parce que souvent quand on se retrouve avec, par exemple, moi, quand j’enseignais dans une école d’immersion, j’avais des collègues qui ont été en arrête de travail maladie, etc.
Et pendant quelques semaines, un mois, leur classe se retrouvait sans enseignants, capable de le faire en français. Ça fait aussi qu'on voit que c'est la lourdeur aussi sur tous les autres membres de l'éducation. Donc, les orthopédagogues, les conseillers aussi qui sont pris de leur travail et qui vont être mis en salle de classe.
Donc il y a une répercussion et un petit peu un effet domino sur l'ensemble de la communauté scolaire à ce moment-là, puis ça, on l’entend à l’urbain, au rural, au nord et un petit peu partout. C'est vraiment ça qu'on entend en ce moment.
Anne Vinet-Roy:Les élèves francophones, comme tous les autres élèves de l'Ontario, méritent des enseignantes et des enseignants qui sont qualifiés et certifiés en tout temps.
Geneviève Forget: Alors moi, je suis dans une école anglophone. Notre gros problème, c'est d'avoir des enseignants francophones pour enseigner français langue seconde. Depuis l'année passée, notre commission scolaire va recruter des enseignants en France. Alors on a reçu quatre enseignants de la France pour prendre des positions en français. Et puis on a encore énormément de difficultés.
Moi, je connais plusieurs personnes qui sont allées dans la profession pour aller enseigner en français, puis les conditions dans les écoles, la violence et toutes ça…ils ont tous abandonnés. Ils sont allés dans d'autres secteurs. Alors je pense que ça c'est une des grosses parties pourquoi qu'on a de la difficulté avec la rétention des enseignants, c'est parce que les conditions sont tellement difficiles maintenant.
Gabrielle Lemieux : Un des effets qu'on remarque, c'est qu'on doit retirer des services spécialisés à certains élèves quand il manque d'enseignant dans une école.
Donc, soit c'est des services à long terme sont affectés si on ne peut pas remplir des positions qui sont permanentes. Mais ce qu'on voit le plus souvent, c'est un manque de suppléance qui est certifié. Donc à ce niveau là, quand il n'y a pas des suppléants qui sont dans les écoles pour a des services spécialisés, ce sont les enseignants certifiés qui a ce service qui vont en salle de classe. Alors nos élèves à grand besoin, nos élèves qui sont en apprentissage de la langue française, nos élèves qui ont des besoins particuliers au niveau du comportement de la santé mentale, c'est souvent ces élèves-là qui sont moins desservis quand il y a un manque de personnel dans les écoles.
Puis l'autre chose, c'est qu'il y en a des membres ou des enseignants qui sont non certifiés dans les écoles, il y a quand même un fardeau qui est mis sur les autres enseignants certifiés autour de mieux les encadrer. C'est des gens qui n'ont pas la formation. Donc, peu importe leur volonté ou leur capacité ou leurs habiletés, il y a quand même un manque de la base de comment effectuer le travail d'un enseignant.
Alors ça peut ajouter un fardeau sur des enseignants qui sont déjà très surchargés. Donc, à ce niveau-là, on voit un niveau d'énergie qui pourrait être affecté.
Puis le dernier point, c'est qu’il y a des parents qui vont choisir de retirer leurs enfants de nos écoles de langue française quand ils voient qu'il y a un déclin au niveau de l'enseignement qui est certifié dans les écoles. Parce que si on envoyer leurs enfants dans une classe avec un enseignant certifié, le côté de la rue, une école anglophone ou dans le nord de l'Ontario, où il manque beaucoup d'enseignant et l'envoyer dans une classe combinée niveau triple peut être avec un enseignant qui est non certifié, pour certains parents, c'est un non-sens des envoyer dans une école francophone.
Donc on va potentiellement voir même le déclin de nos inscriptions dans les écoles francophones à cause de l'effet de ce manque de certification là. Et ce manque de professionnel dans nos écoles.
Vraiment, c'est qu'il faut s'attaquer à nos conditions de travail. On ne peut pas les recruter du personnel enseignant certifié qui va dépenser six ans à université pour aller chercher leurs brevets si dans les écoles on s'est frappé, on fait mordu, on est surchargé, on est épuisé. C'est vraiment difficile d'aller recruter les gens pour venir travailler quand les conditions de travail sont déplorables.
Je pense que le parapluie en ce moment, c'est vraiment la surcharge parce que quand on a une complexité de salle de classe qui est plus difficile à gérer avec très peu d’enseignants spécialisé ou d'éducateurs spécialisés, la surcharge est sur l'enseignant qui ne peut plus faire son travail. Donc ça ajoute beaucoup car on a des élèves qui sont violents car ça rajoute, ça rajoute, ça rajoute. Donc c'est vraiment le manque de support, je dirai, en salle de classe qui pourrait venir améliorer, aider dans nos conditions de travail.
Enseignante anonyme: Cela fait des années qu'il y a une pénurie du personnel enseignant. Il y'en a qui partent à la retraite et les écoles ont les portent grandes ouvertes.
ANIMATRICE : Les conclusions de l’enquête Parachute ont permis de dégager des recommandations clés pour améliorer les conditions de travail.
HEIDI : Plus de 70 % des membres francophones du personnel de l’éducation soutiennent les trois recommandations suivantes :
1) La diminution de la taille des classes
2) L’augmentation du personnel de soutien
3) Plus de temps de préparation
Les provinces et les territoires doivent travailler avec les organisations de l’enseignement pour mieux comprendre les taux d’attrition. On ne pourra pas, à long terme, se contenter de solutions ici et là; il faudra instaurer des changements systémiques pour rebâtir les fondations de la profession.
ANIMATRICE : L’étude menée par l’Association canadienne des professionnels de l’immersion et l’Association canadienne des professeurs de langues secondes a permis de dégager des pistes de solutions pour le français langue seconde, soit :
- Recruter et former des enseignants de français langue seconde;
- Faciliter l’accès aux possibilités de perfectionnement professionnel;
- Soutenir les responsables des programmes d’immersion française;
- Collaborer avec les établissements de formation pédagogique pour former un plus grand nombre d’enseignants de français langue seconde.
MENSAH : Je trouve que le sujet est très important, c’est-à-dire l’intégration des personnes issues de l’immigration récente parce que nous sommes, en milieu minoritaire, on manque d’enseignants. On va aller les chercher, on met des ressources pour aller les chercher. Il faut mettre les ressources pour les accompagner maintenant qu’ils sont sur place, sinon nous serons dans un processus de portes tournantes.
ANIMATRICE : On observe, en éducation, un phénomène similaire à ce qui se passe en santé : les employeurs font appel à du personnel formé à l’étranger pour faire face à la pénurie. Un rapport de l’UNESCOmontre que le Canada figure parmi les quatre pays qui accueillent 70 % des personnes migrantes hautement qualifiées des pays de l’OCDE et qu’il fait partie — avec l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis — des pays qui attirent le plus grand nombre d’enseignantes et enseignants issus de l’immigration.
Mais il ne suffit pas de recruter des gens à l’étranger pour résorber la pénurie de personnel dans l’enseignement; il faut aussi les accueillir et les accompagner dans leur nouvel environnement.
Afin de mieux comprendre le phénomène, nous avons discuté avec Mensah Hemedzo, membre de l’AEFO. Originaire du Togo, Mensah est titulaire d’un doctorat en littérature française de l’Université de Strasbourg, en France, où il a également été chargé de cours pendant ses études. Il a par la suite immigré au Canada en 2009. Écoutons son histoire.
MENSAH : Donc à Montréal j'ai essayé de trouver un emploi en enseignement, j'ai fait mon baccalauréat en enseignement à Gatineau où j'ai fait trois ans de suppléance à long terme avant seulement de migrer à Ottawa dans un conseil scolaire en milieu minoritaire.
ANIMATRICE : Comment vous en êtes arrivé à venir travailler en Ontario?
MENSAH : Oui, donc en fait, j'ai commencé au Québec, faisant des suppléances à long terme, mais je n'arrivais pas à trouver ma place parce qu'à chaque fois qu'il y avait une opportunité réelle, c'est toujours d'autres personnes qui prenaient ces opportunités-là.
Je dirais qu'il y avait une certaine discrimination à l'emploi à ce moment, parce que quand on est de l'extérieur, on entend juste parler du Québec en tant que province francophone ou bien milieu francophone pour vivre. Donc je n'avais pas cette conscience qu'en dehors du Québec, il y avait certaines communautés françaises qui étaient vivantes et dynamiques.
C'est seulement quand les portes ne se sont fermés pour moi à Gatineau que j'ai commencé par lorgner sur les autres communautés francophones et je postulais un peu partout à cette époque-là. Et puis un beau matin, le téléphone sonne. Je n'ai même pas vu le numéro avant de décrocher et ils ont dit, « M. Hemedzo êtes-vous toujours intéressé par le poste d'enseignant ». Moi, j'ai dit oui, oui, oui, absolument. Je ne savais même pas si j'allais être à Vancouver ou…et heureusement pour moi, c'était juste à côté, c'était à Ottawa et le lendemain, je suis allé voir le directeur et c'est comme ça que j'ai commencé en Ontario. C'était vraiment après l'échec québécoise que je suis décidé à aller de l'autre côté parce que je n'avais pas cette conscience de la communauté francophone dans les autres provinces en somme.
ANIMATRICE : Et qu'est-ce qui vous a plu dans le système d'éducation publique au Canada?
MENSAH : Alors, ce qui m'a beaucoup plu, c'est vraiment cette disponibilité de ressources. Vraiment, on a beaucoup de ressources ici comparés à nos pays d'origine, bien entendu. Disons, les élèves, ils ont tous ceux dont ils ont besoin, des ordinateurs par élèves, on a les services des ressources de la réussite. Donc une équipe de la réussite qui est là, à l’aide aux élèves en difficulté. On a du soutien psychologique qui est là aussi parce que nous avons des travailleurs et travailleuses sociaux. Et en plus de ça, il y a une certaine organisation du système qui fait en sorte que tout le monde peut avoir sa place.
Je m'explique, dans mon pays d'origine, le Togo, par exemple, on ne valorise pas beaucoup les métiers manuels ou des choses techniques, alors que nos élèves en Ontario, au Canada de manière générale, on peut les orienter selon leur habileté, selon ce qu'ils aiment. Mes élèves qui peuvent aller….là pendant ce semestre, je fais – on appelle ça CO-OP – ils vont aller voir comment est-ce que ça se passe peut-être chez un menuisier, donc ils passent le semestre chez le menuisier, et ça leur permet de savoir où sont leurs passions, ce qu'ils peuvent faire. C'est ça qui manque dans mon pays d'origine en somme, qu'on valorise tout le monde. Donc c'est ça que j'aime dans le système de l'Ontario, les ressources qui sont disponibles et plus cette opportunité qu'on donne aux élèves.
ANIMATRICE : Est-ce qu'il y a des choses qui ont été plus difficiles dans votre contexte de travail?
MENSAH : Alors, j'ai de la facilité à entrer en relation avec les élèves, il n'y a pas de souci, mais dans le système canadien, je trouve que c'est quand même faire reposer sur l'enseignant cette charge de, il faut que tu aies de bonnes relations avec les élèves pour qu'ils te respectent. C'est ça que je trouve un peu, disons difficile, parce que pour moi, un enseignant est un enseignant. Tu n'as pas besoin d'aimer l'enseignant pour respecter cette personne-là. Et même ce qu’on enseigne…j’étais chargés de l'accueil de nouveau personnel et ce qu'on leur enseigne dans la gestion de classes et ça, c'est tisser le lien avec les élèves, bâti une bonne relation avec les élèves. Mais à la base pour moi, tu n'as pas besoin d'aimer ton enseignant pour le respecter.
ANIMATRICE : D'accord. En 2019, vous avez publié le livre Dites-leur que je suis Québécois, aux Éditions de l'homme, qui traite des défis que doivent relever les nouveaux arrivants et nouvelles arrivantes. Qu'est-ce qui vous a inspiré? Pourquoi vous avez senti l'urgence de raconter votre histoire?
MENSAH : Alors déjà le titre, Dites-leur que je suis Québécois, c'est de là que vient en fait, je dirais l'urgence décrire cette histoire parce que, les choses ont changé depuis mais, en 2009, quand je suis arrivé au Canada et au Québec, on parlait du taux de chômage des personnes issues de l'immigration comparés à ceux qui sont nés ici ou bien qui ont toujours été ici. Et ça a été toujours des chiffres. On dit oh, c'est le double, c'est le triple, c'est 12 %, c'est 8 %. Et j'avais l'impression qu'on n’humanisé pas la personne issue de l'immigration. À l'époque il y avait une sorte de clientélisme en somme.
De vie cette discrimination, je me suis rendu compte que les gens qui étaient en face de moi, ça n'était pas de mauvaises personnes en réalité, la directrice, le directeur d'école, je les observe, ce n'était pas de mauvaises personnes. J'avais juste l'impression qu’il ne se rendait pas compte de la dimension humaine de tout ce qu'il y a autour.
Moi personnellement, ma mère dépendait de moi. J'ai des enfants qui sont à ma charge, le fait de me tasser de mettre quelqu'un d'autre à ma place, ça a des répercussions sur ma famille et pas juste ici au Canada, juste au Togo. Donc j'avais eu le besoin de parler de cette histoire…ok, voici la situation. Quand vous avez un enseignant issu d'immigration devant vous, ce n’est pas juste cette personne là, pas juste un individu. Il y a d'autres choses qui entrent en jeu.
J’ai souffert de problèmes de santé mentale …. Donc c'était vraiment pour humaniser la personne issue de l'immigration que j'ai écrit mon livre pour raconter mon histoire.
ANIMATRICE : Est-ce que vous avez le sentiment que votre expérience est représentative finalement du parcours d'autres personnes issues de l'immigration?
MENSAH : Oui à l'époque où j'ai publié le livre, j'ai eu beaucoup de personnes qui sont issus de l'immigration, des enseignants, qui dit « Mensah, quand je lis ton livre, c'est moi, tu parles de moi en réalité ». Donc oui, ça a été très représentatif, mais les choses ont évolué depuis 2015, depuis 2009.
Actuellement, on n'est plus dans la même réalité parce qu'actuellement, on a une pénurie, une telle pénurie d'enseignants que on est même obligé d'aller les chercher à l'étranger. Moi en tant que conseiller pédagogique doit accompagner des enseignants qui débarquent directement du Cameroun et qui rentrent en salle de classe sans faire de formation et autres.
Et c'est un autre défi…de quelqu'un qui arrive qui rentre en salle de classe directement. Tu ne sais pas comment manipuler le tableau interactif et, autres face à un autre défi, mais juste, pour dire que les choses ont changé depuis 2015, on a plus d'opportunité, mais le défi actuellement, c'est d'accompagner ces gens-là, je veux dire, c'est ça qui change.
ANIMATRICE : Parce que vous disiez que les codes peuvent être différents aussi, vous parliez qu’il fallait développer une relation avec les élèves, mais c'est ça ce qui évolue d'un endroit à l'autre, j'imagine.
MENSAH : Oui, effectivement. Moi, si je parle, je n'aime pas de généraliser, mais si je parle de mon expérience togolaise, tu es en salle de classe, tu es l'enseignant, l'élève te respecte en tant qu'enseignant, tu n'as pas besoin de déployer des efforts pour te faire respecter. Alors qu'ici c'est différent. Il faut tisser une relation avec ces élèves-là. Et pour le fait, il faut poser des questions. Comment est-ce que ça va, s'intéresser à l'élève, s'intéresser à ses goûts, mais c'est comme ça que le système fonctionne ici et il faut qu'on s'adapte à ça. Donc oui, c'est différent, on s'adapte quand on a de l'aide et du soutien.
ANIMATRICE : C'est ça, ça doit aider d'avoir des gens comme vous, justement qui offrent un lien aux personnes qui arrivent et qui travaillent dans des conditions qu'elles ne connaissent pas forcément.
MENSAH : Oui, oui, oui. Dans mon conseil, par exemple, on a vraiment un parcours spécial pour les enseignants qui sont issus de l'immigration, on appelle ça, Parcours de la diversité et on accompagne nos collègues qui sont issus de l'immigration qui n'ont pas fait leurs études ici au Canada, parce que c'est ça en fait l'essentiel du problème, ceux qui n'ont pas fait leur étude primaire ou secondaire au Canada, ils ont besoin un arrimage en douceur dans le système parce que les cultures sont différentes et les pratiques pédagogiques ne sont pas les mêmes en somme.
ANIMATRICE : Et si vous aviez un changement systémique à proposer pour faciliter justement l'insertion du personnel enseignant d'immigration récente, ça serait quoi?
MENSAH : Je dirais qu’on devrait peut-être rendre obligatoire une formation pour la direction d'école afin de mieux accueillir les enseignants qui sont issus de l'immigration parce qu'on envoie malheureusement…la personne à rien. On se dit « tiens, voilà les clés de sa salle de classe. Tu tournes deux fois à droite et à gauche, c'est votre salle de classe » et c'est tout. Mais la personne n'a jamais été au Canada. La personne n'a jamais été dans une classe au Canada. On ne peut pas juste lui donner une clé pour dire voici la planification, voici des élèves. Ça ne fonctionne pas.
Selon moi, on devrait rendre ça dans la formation des directions ou quand ils se…au poste, faire leur donner une formation. C'est ce qu'on fait dans mon conseil. Mais ce n'est pas obligatoire cette formation-là, une formation pour mieux accueillir la personne issue de l'immigration récente. De la même manière aussi, on doit donner une formation pour que ceux qui sont issus de migration puissent mieux s'intégrer, leur donner des outils de mieux s'intégrer.
Ça vraiment essayer de trouver un moyen pour mieux accueillir et donner aux autres opportunités de mieux s'intégrer au système.
ANIMATRICE : Et est-ce que vous auriez des ressources ou des organisations à recommander aux enseignantes, aux enseignants, qui arrivent pour favoriser leur insertion?
MENSAH : Au niveau des ressources, la FCE, c'est la Fédération canadienne des enseignants, a sorti beaucoup de fascicules autant pour les collègues qui accueillent, pour les directions qui accueillent, pour la personne qui s'intègre aussi.
Au niveau de l'Ontario spécifiquement, il y a aussi un site internet, Moi, j’enseigne!,
c'est un site internet où on a des ressources, des autres capsules d’auto-formation qui leur permettent de pouvoir s'intégrer. Mais on leur donne aussi des mentors dont ils ont accès à des mentors via cet organisme-là. En même temps, on les accompagne dans leur processus avec l'Ordre et autres. Donc il faut juste aller chercher l'information pour pouvoir trouver ces éléments-là.
ANIMATRICE : Écoutez, est ce que ce que vous aimeriez ajouter quelque chose à notre discussion?
MENSAH : Je crois que c'est général, cette pénurie de main d'œuvre au niveau de l'enseignement, que ce soit en Ontario, que ce soit en Alberta et autres. Oui, on a besoin de ces gens-là, mais il faut mettre les ressources pour les accompagner. Il faut mettre les ressources pour les soutenir, pour qu'ils puissent s'intégrer. Ça c'est important et le mentora fait partie des ressources les plus importantes à mon avis.
ANIMATRICE : Donc que ça serait de jumeler en fait, avec soit des gens qui sont arrivés avant, soit des gens qui ont grandi mettons sur place.
MENSAH : Oui, je pense que les deux types de mentoras sont nécessaires. C'est-à-dire quelqu'un qui est aussi issu d'immigration, mais qu'elle a depuis longtemps qui a su s'intégrer au système; en même temps, quelqu'un qui a toujours grandi ici aussi, pour aussi apporter son point de vue, apporter un peu sa touche pour accompagner la personne de manière de concert. Je crois que c'est important ça.
ANIMATRICE : Et puis, j'imagine, un enrichissement mutuel aussi de toutes ces personnes à travailler ensemble, à savoir ce qui se fait ailleurs...
MENSAH : Effectivement. Les gens ne prennent pas juste, tout le monde donne dans ce processus-là, on apprend les uns des autres au contact les uns des autres. On apprend beaucoup de choses. On parle interculturalité en ce moment. On parle d'intelligence culturelle. Donc le fait d'être en contact avec ces gens-là, ça te permet aussi d'évoluer en tant qu’humain en tant que personne.
ANIMATRICE : Comme l’explique Mensah, l’intégration est une question de ressources, mais aussi de temps.
Pour répondre à ces besoins, la Fédération dirige un important projet pilote pour favoriser l’insertion professionnelle du personnel enseignant d’immigration récente dans les écoles francophones en contexte minoritaire. Ce projet, qui s’intitule « Enseigner : mille parcours, une passion! », est subventionné par Patrimoine canadien et réalisé en partenariat avec les organisations membres et associées, ainsi que le Regroupement national des directions générales de l’éducation (RNDGE). Ce projet, qui a commencé en avril 2024 et prendra fin en mars 2026, comprend trois volets, soit l’accompagnement en salle de classe, la formation et la recherche. Les participantes et participants, les personnes qui les accompagnent et les directeurs et directrices d’école reçoivent de la formation et un encadrement. Le personnel des écoles participantes est également formé aux questions de pluralisme et d’interculturalité à partir de ressources élaborées par le Centre mondial du pluralisme. Le volet de la recherche, dirigé par l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), servira à évaluer l’incidence des mesures mises en œuvre. Le projet s’appuie sur les résultats d’une enquête que la CTF/FCE a menée en 2023-2024 en collaboration avec l’UQAR, grâce au soutien financier de Patrimoine canadien. Il répond aux besoins signalés par les organisations membres et associées de la CTF/FCE qui estiment qu’il faut renforcer la rétention du personnel enseignant dans les écoles francophones en contexte minoritaire.
ANIMATRICE : Mais on garde d’espoir et il est important de ne pas perdre de vue le fait que l’enseignement reste une profession incroyablement gratifiante et valorisante.
Ambroise : Je pense que la valeur de l'enseignement, c'est une assurance garantie sur le futur que nous voulons avoir. C’est-à-dire que nous sommes capables de préparer des jeunes afin de déterminer une société de l’avenir sur les valeurs, certaines en même temps de choisir le type de société que nous voulons pour le futur.
Donc moi, la valeur de l'enseignement, je le vois comme ça, comme étant justement cet investissement à préparer des jeunes pour demain.
Mona-Élise Sévigny:Je pense qu'il y a un effort à la base de faire pour aller recruter ces jeunes-là de leur montrer qu’il y a de la valeur dans notre profession. Donc c'est revaloriser la profession pour ensuite inciter des gens à venir dans la profession. Donc, on a un rôle à faire, tant au niveau syndical pour niveau aussi, juste enseignant en salle de classe, de montrer aux jeunes que non, il y a une valeur dans notre profession.
Heidi: Il est clair que les ressources attribuées aux écoles françaises pour offrir une éducation de qualité équivalente au sein des réseaux est grandement insuffisante.
En novembre, j’ai participé à la conférence des associations francophones d'éducation et ils ont publié une déclaration sur la pénurie de personnel enseignant. Ils concluent en affirmant que:
Cette situation n’est plus un simple défi, elle représente une urgence pour l’avenir de nos systèmes éducatifs, de même que pour l’épanouissement de la langue française et de ses cultures. Nous ne pouvons rester indifférents face à cette crise qui touche directement l’avenir de nos enfants et de nos communautés.
Face aux nombreuses crises qui secouent actuellement le monde, la pénurie d’enseignantes et d’enseignants ne semble pas être une priorité, bien qu’elle devrait l’être : parce que les élèves sont notre avenir.
ANIMATRICE : La CTF/FCE offre une grande variété de ressources aux enseignantes et enseignants qui travaillent dans des écoles francophones en contexte minoritaire.
La Fédération a conçu les fascicules de la collection Portraits de l’éducation dans le but de faciliter l’insertion socioprofessionnelle des membres du personnel enseignant issus de l’immigration récente qui commencent à travailler dans les écoles francophones en contexte minoritaire. Ces fascicules sont téléchargeables gratuitement à l’adresse publications.ctf-fce.ca/fr.
La PELF, ou la Pédagogie à l’école de langue française, est une ressource en ligne qui a été élaborée par et pour le personnel enseignant des écoles francophones en contexte minoritaire au Canada. Le site propose des outils pédagogiques, de courtes vidéos et des idées d’activités afin d’aider le personnel enseignant à contribuer à la construction de l’identité francophone des élèves tout en veillant à leur réussite scolaire. Visitez le www.pelf.ca pour en savoir plus.
ANIMATRICE : Dans cet épisode, nous vous avons présenté, preuves à l’appui, les causes et les conséquences de la pénurie de personnel enseignant dans les écoles de langue française en contexte minoritaire et dans les programmes de français langue seconde et d’immersion française au Canada.
Afin de mieux comprendre l’ampleur du problème et de trouver des pistes de solutions, nous avons entendu des témoignages et discuté avec des chercheurs et chercheuses du Canada et d’ailleurs.
Nous vous invitons à consulter les notes de l’épisode pour obtenir des liens vers les ressources mentionnées.
Merci d’avoir écouté cet épisode de la série ABSENCES qui nous a permis de découvrir ce qui manque aux écoles publiques et d’explorer des pistes de solutions pour remettre le système d’éducation public au Canada sur la bonne voie.
La série ABSENCES du balado Source est produite par la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants, à Ottawa, sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anichinabé.